Sujet âgé : les défis de la recherche clinique en chirurgie oncologique

Publié le 23 mai 2018

Alors que près d’un tiers des cancers concernent aujourd’hui des personnes âgées de plus de 75 ans,  avec une prévision d’un patient sur 2 à l’horizon 2050, seulement 1 à 2% des patients de 75 à 85 ans sont inclus dans des essais cliniques en cancérologie[1]. Par ailleurs, la recherche en chirurgie aborde rarement des problématiques d’oncogériatrie. De nombreuses questions restent donc sans réponse pour les praticiens. Quels sont les freins aux essais cliniques de la chirurgie du cancer chez le sujet âgé, comment structurer cette recherche et la développer ? Le Dr Grégoire Desolneux, chirurgien digestif et viscéral à l’Institut Bergonié de Bordeaux, répond à nos questions. 

 

-          Pourquoi existe-t-il une telle discordance entre l’offre des essais cliniques et l’épidémiologie des cancers et quelle en est la conséquence ?

Très souvent, les personnes âgées atteintes de cancer ont également des antécédents médicaux, des fragilités et des traitements associés. Or ces situations sont la plupart du temps des critères d’exclusion pour les essais cliniques. Parfois, les troubles cognitifs, posent aussi des questions éthiques de consentement. Les données de la recherche clinique sur les traitements du cancer portent donc encore sur une population plus jeune,  assez peu représentative des patients que nous voyons au quotidien. Il est difficile pour nous praticiens de les transposer dans « la vraie vie ». Aujourd’hui, nous nous basons évidemment sur un rationnel scientifique mais nous devons aussi nous montrer pragmatiques en acceptant de ne pas obtenir les réponses à toutes nos questions. Développer la recherche clinique chez le sujet âgé est une nécessité, mais c’est aussi un vrai défi.

 

-          Existe-t-il également des freins à la recherche en chirurgie du cancer, en particulier chez les personnes âgées ?

Aux freins de la recherche en oncogériatrie, une discipline assez nouvelle, s’ajoutent en effet des freins à la recherche en chirurgie. L’un d’entre eux est historique et culturel : l’apprentissage de la chirurgie se base encore sur le compagnonnage. Un autre frein est la complexité de l’analyse d’un traitement par chirurgie et ses multiples paramètres : l’acte chirurgical, mais aussi la mise en condition préopératoire, l’anesthésie, la récupération, etc. Ensuite, d’autres freins proviennent de la difficulté de l’application des règles des essais randomisés à la chirurgie, comme l’ambivalence ou l’aveugle. Enfin, un frein est financier : la recherche industrielle en chirurgie est plus limitée que la recherche sur des molécules portée par des laboratoires pharmaceutiques.

 

-          Quelles sont les questions auxquelles répond la recherche en chirurgie du cancer aujourd’hui ?

La littérature scientifique en chirurgie est surtout technique. Elle répond à des questions du « comment faire » telles que : quelle voie d’abord pour cette chirurgie ? Ce sont des données utiles mais rapportées au médicament, elles répondent à : faut-il administrer cette chimiothérapie en perfusion ou par voie orale ? Les essais comparant par exemple une chirurgie et une chimiothérapie, répondant donc à des « pour quoi faire », est peu développée alors que nous avons aussi besoin de réponses stratégiques.

 

-          La recherche en chirurgie oncologique prend-elle en compte des objectifs d’oncogériatrie?

Les objectifs des recherches en chirurgie du cancer sont principalement la survie globale, la morbidité, la durée d’hospitalisation et les complications. Chez le sujet âgé, ils doivent être conservés mais aussi intégrer d’autres questions. En effet, avec une population susceptible de décéder de différentes causes, ne devrait-on pas plutôt parler de survie spécifique ? Ne devrait-on pas questionner la pertinence de la survie à 10 ans chez une personne de 85 ans ? Des objectifs tels que la toxicité, la qualité de vie, la récupération du statut cognitif ou le maintien de l’autonomie, rarement pris en compte dans les essais de chirurgie, ne sont-ils pas aussi importants ? Il nous faut réfléchir de façon plus globale : pour le sujet âgé, la quantité de vie et la qualité de vie ne vont pas l’une sans l’autre.

 

-          Comment pourrait-on mieux structurer la recherche en chirurgie du cancer ?

Les recommandations « IDEAL »[2] proposent que toute innovation en chirurgie se développe selon une trame équivalente aux quatre phases des essais sur les médicaments. La première phase « i » est l’idée, qu’il faut rapporter à la communauté et décrire. La suivante est le « d » du développement, qui sert à évaluer la faisabilité de la technique. Le « e » est la phase exploratoire consacrée à la qualité et la reproductibilité, puis le « a », comme « assessment » est l’essai clinique comparant l’innovation avec une technique classique de chirurgie ou avec autre traitement. Le « l » est le « long term study » qui étudie la qualité à long terme avec des registres prospectifs. Ce processus est certes long alors que les techniques évoluent vite, il n’est pas obligatoire, mais il pose un cadre et un critère de qualité intéressants.

 

-          Comment selon vous améliorer la recherche en chirurgie carcinologique chez le sujet âgé ?

Je pense que l’amélioration repose beaucoup sur des collaborations, à l’image de la diversité des intervenants en oncogériatrie : gériatres, oncologues médicaux, chirurgiens, radiothérapeutes, psychiatres, neurologues, mais aussi les aidants familiaux… Les groupes collaboratifs tels que Dialog, mais aussi GERICO ou PACAN, les sociétés savantes telles la SOFOG et la SIOG, sont une formidable opportunité de collaboration. Au lieu de se poser chacun dans sa spécialité des questions compliquées et partielles, je pense que nous pouvons répondre ensemble à questions plus simples mais fondamentales.

 

Entretien réalisé par Emmanuelle Manck

 

[1] INCa : Les cancers en France en 2013, Collection état des lieux et des connaissances, jan. 2014.

[2] McCulloch P, Altman DG, Campbell WB, Flum DR, Glasziou P, Marshall JC, Nicholl J, for the Balliol Collaboration: No surgical innovation without evaluation: the IDEAL recommendations, Lancet 2009; 374: 1105–12

En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services.X