Sujet âgé et accès à l’innovation médicamenteuse en cancérologie : 3 questions au Dr Catherine Terret

Publié le 23 mai 2018

 

Alors que le cancer est principalement une maladie du sujet âgé et que sa mortalité augmente fortement au-delà de 75 ans[1], l’inclusion des personnes âgées dans des essais cliniques en oncologie n’atteint pas 5% en 2015. Par ailleurs, entre 2007 et 2012, les essais de phases 1 et 1-2 n’ont concerné que 2,6 % des patients inclus dans les essais en oncologie et seuls 2 essais précoces destinés spécifiquement aux personnes âgées sont actuellement ouverts[2],[3]. Pourquoi les patients âgés accèdent si peu à l’innovation thérapeutique ? Le Dr Catherine Terret, oncologue médical au Centre Léon Bérard (Lyon) nous répond.

 

D’où proviennent les difficultés d’accès de la population âgée à l’innovation thérapeutique en cancérologie ?

Même si nous avons beaucoup progressé en oncologie gériatrique ces dernières années, nous restons face à un blocage sur plusieurs aspects du système.

D’une part, nous n’avons pas encore défini une catégorisation précise entre les sujets âgés aux ressources suffisantes pour les situer dans la même filière que la population générale pour la recherche clinique, et les sujets âgés qui présentent des facteurs de risque d'ordre gériatrique, indépendants de leur cancer. Les multiples paramètres entrant dans le concept de fragilité tel qu'il est défini en gériatrie rendent pour le moment difficile son utilisation dans la recherche en oncologie. Nous cherchons donc encore à établir les critères permettant que les patients âgés puissent être inclus soit dans des essais standards, soit dans des études spécifiques et qu’ils accèdent ainsi à l’innovation.

D’autre part, la plupart des promoteurs d’étude ne souhaitent pour le moment pas assouplir leur méthodologie, pour des raisons de sécurité et de facilité d’exploitation des données. Notons que les autorités de santé n’imposent pas de « quota » obligatoire d’inclusion de sujets âgés dans les essais thérapeutiques.

 

Les essais précoces sont-ils vraiment à risque pour les personnes âgées ?

Il existe malheureusement peu de données sur l’impact de l’âge sur la tolérance et la survie dans les essais de phase 1. Cependant, l’expérience de l’Institut Gustave Roussy dans ce domaine a été présentée par le Dr Carole Hélissey à l’occasion de la Journée Scientifique DIALOG du 13 décembre 2017 sous la forme d’une étude rétrospective comparant les résultats en termes d'efficacité et de toxicité d'essais de phase 1 chez des patients âgés de plus de 75 ans  et des sujets plus jeunes. Les résultats indiquent que l’âge n’impacte en réalité ni le profil de tolérance, ni la survie dans les essais de phase 1.

 

Quelle est la situation de la recherche précoce avec les nouvelles thérapies de la médecine personnalisée ou de précision ?

La recherche en oncologie s'oriente actuellement vers la détection d'anomalies moléculaires intervenant dans la cancérogenèse et pour lesquelles nous disposons déjà d’outils thérapeutiques intéressants. La présentation réalisée durant la Journée par le Dr Carlos Gomez-Roca a montré la rentabilité assez médiocre des programmes de caractérisation moléculaire des tumeurs. En effet, moins de 20% des patients en tirent une proposition thérapeutique. Ce pourcentage avoisine même 10% pour les patients âgés : ils sont donc également un peu oubliés de ces axes de recherche génomique. Les personnes âgées pourraient en principe facilement participer à ces études prospectives sans conséquences sur la santé du sujet. Mais chez elles, notamment lorsqu’elles sont fragiles, il est vrai que d’autres problèmes de santé peuvent survenir avant l’obtention des résultats et interférer dans le processus. Cependant, nous pouvons souligner un point positif : la proportion d’inclusion des sujets âgés dans les phases précoces des thérapies innovantes est la même que pour l’ensemble des études en cancérologie. Ce constat plaide pour une collaboration étroite entre les équipes responsables du développement des nouvelles molécules et les équipes d'oncogériatrie : la conception des essais de phase clinique précoce pourrait être améliorée afin de permettre la participation des sujets âgés et l’obtention de données pertinentes dans cette population.

 

Entretien réalisé par Emmanuelle Manck

 

[1] INCa : Cancer chez les personnes de 65 ans et plus - Rapport : Les cancers en France - édition 2016

[2] INCa : Registre des essais cliniques en cancérologie, bilan 2007-2012. Décembre 2013

[3] INCa : Suivi du dispositif de prise en charge et de recherche clinique en oncogériatrie dans le cadre du Plan Cancer 2014-2019. Janvier 2015

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