Préhabilitation et réhabilitation : peut-on réduire les complications après chirurgie carcinologique abdominale chez le sujet âgé ?

Publié le 23 mai 2018

Réduire le stress chirurgical et le risque de complications post-opératoires suppose d’aider le patient à récupérer après l’intervention, mais aussi à se préparer avant l’intervention. Les programmes de préhabilitation et de réhabilitation améliorée (RAAC), ont été conçus dans ce but et ont montré leur efficacité dans différentes chirurgies. Qu’en est-il pour la chirurgie des cancers digestifs chez les patients âgés, principales victimes de ces maladies et des complications chirurgicales ? Interviews croisés du Pr Claire Falandry, oncogériatre au CHU Lyon-Sud et du Pr Elena Paillaud, oncogériatre à l’Hôpital Henri Mondor de Paris.

 

Professeur Paillaud, la RAAC est-elle largement appliquée en France pour la chirurgie des cancers digestifs?

EP : L’application de ce programme est hétérogène : totale dans certains services identifiés comme centres de référence dans ce domaine, partielle dans d’autres. Son implémentation suppose en effet la conviction de l’équipe médicale dans la pertinence de tous ses items, la maîtrise de la laparoscopie et un effort d’organisation dans lequel la direction de l’établissement doit être partie prenante. Par ailleurs, si la RAAC a été conçue pour la chirurgie colorectale, certains items sont difficiles à décliner pour des chirurgies lourdes comme le pancréas ou l’œsophage.

La RAAC est-elle applicable au sujet âgé ?

Elle l’est généralement pour le patient âgé robuste et permet d’éviter les complications du décubitus et l’installation d’une perte d’autonomie. Il n’est toutefois pas démontré que la RAAC soit applicable à tout sujet âgé, en particulier avec des comorbidités ou fragile. Une étude rétrospective publiée en 2017[1] sur plus de 500 patients âgés de plus ou moins de 70 ans ayant eu chirurgie colorectale peut nous éclairer à ce sujet. L’adhésion complète au RAAC a concerné les ¾ des patients, des différences mineures touchant au retrait de la sonde urinaire et à l’arrêt des fluides en intraveineuse dès le 1er jour et la nutrition orale au 2ème, moins suivis chez le sujet âgé. Le taux de complications lié à l’acte chirurgical s’est révélé similaire entre les deux groupes, avec cependant plus d’événements cardiovasculaires et respiratoires chez les plus de 70 ans, et un taux de complications global assez élevé de 48%. L’étude montre que la RAAC peut être appliquée chez le sujet âgé, que certains points du programme restent problématiques et que l’intervention du gériatre peut être utile pour diminuer le risque de complications.

Quel peut être le rôle du gériatre dans cette situation ?

Le gériatre peut intervenir avant et après l’intervention, en articulation avec la RAAC. Il peut évaluer le patient en préopératoire, alerter l’anesthésiste et le chirurgien sur des points de fragilité qu’il aura identifiés et ajuster les traitements pour réduire le risque iatrogénique lié à l’intervention. Il peut également mobiliser précocement l’équipe de diététique sur le statut nutritionnel du patient et mettre d’emblée en place un parcours de soins de suite. En post-opératoire, il peut favoriser  la mobilisation précoce et traiter rapidement les complications qui peuvent survenir afin d’éviter une dégradation de l’état de santé.

 

Professeur Falandry en bref, en quoi consiste la préhabilitation en chirurgie du cancer ?

CF: La préhabilitation associe historiquement l’activité physique, la prise en charge nutritionnelle et le soutien psychologique avant une chirurgie. Elle se positionne donc en amont de la RAAC, avec laquelle elle n’est en rien incompatible. Elle est tout à fait adaptée à l’oncologie car les chirurgies sont habituellement programmées, nous donnant le temps de mobiliser les patients sur leur parcours soins.

La préhabilitation est-elle utile à la prise en charge chirurgicale du cancer du sujet âgé ?

Elle l’est parce que la décompensation en cascade après chirurgie du cancer est toujours redoutée chez les patients âgés. En effet, des vulnérabilités liées à l’âge, à la maladie et à ses traitements, comme la dénutrition et la sédentarisation, s’accumulent chez eux. Les répercussions de cette décompensation sont importantes  en termes de qualité de vie, d’autonomie, de coût socio-économique et d’efficacité du traitement chirurgical. Par ailleurs, la sarcopénie a un impact démontré sur la survie après chirurgie carcinologique, alors qu’elle peut être réversible avec un programme adapté.

A-t-on des preuves de son impact chez le sujet âgé ?

Le Dr Siri Rostoft d’Oslo a indiquélors des Journées Scientifiques Dialog du 13 décembre 2017 que pour le moment, il est difficile à mesurer. Seules des études de petite envergure ont été réalisées, l’observance est très variable et les modèles tumoraux sont hétérogènes. Des études pilotes sont en cours en Europe et aux Etats-Unis, mais sur des programmes de préhabilitation différents. Le niveau de preuve est donc encore faible. Cependant, une récente publication[2] a démontré que plus l’état fonctionnel des patients âgés est altéré au départ, plus le bénéfice de la préhabilitation est important. Ce résultat va à l’encontre des idées reçues et représente une bonne nouvelle, notamment dans le cadre de chirurgies lourdes abdominales.

Est-elle implémentée en France ?

Notre système de remboursement des soins actuel ne prévoit pas de programme de préparation avant la chirurgie. Celui-ci devrait donc être mis en œuvre par les services à moyens constants et sans le soutien d’une évaluation. Il nous semble donc nécessaire, notamment au sein de la population âgée à haut risque, de réaliser des études comparant les programmes de préhabilitation avec les soins courants afin de mesurer leur impact sur les ré-hospitalisations non programmées ainsi que la survie globale, la qualité de vie et les aspects fonctionnels chez ces patients.

 

Entretien réalisé par Emmanuelle Manck

 

[1]. Slieker J et al Enhanced recovery ERAS for elderly: a safe and beneficial pathway in colorectal surgery.

Int J Colorectal Dis. 2017 Feb;32(2):215-221

[2] Minnella EM et al : Patients with poor baseline walking capacity are most likely to improve their functional status with multimodal prehabilitation. Surgery. 2016 Oct;160(4):1070-1079.

 

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